Creusée en 2003 pour sauver Saint-Louis des inondations, la brèche de la Langue de Barbarie est devenue un véritable piège mortel pour de nombreux pêcheurs. Les crues du fleuve Sénégal ont régulièrement marqué l’histoire de la ville depuis sa fondation en 1659, provoquant de graves inondations. La brèche, surnommée “Beul bi” en wolof, a été créée sur les instructions de l’ancien président Abdoulaye Wade pour réduire l’impact des crues, particulièrement violentes en 2003.
Cet hiver-là, une pluviométrie excessive dans le nord a entraîné une crue record, dépassant le seuil d’inondation de 1,2 mètre et atteignant rapidement 1,35 mètre le 28 septembre. Face à la montée des eaux, les autorités ont pris des mesures d’urgence, et le 3 octobre 2003, une brèche artificielle de 4 mètres de large et 1,5 mètre de profondeur a été ouverte à 7 km au sud du pont Faidherbe. Cette ouverture a permis de réduire rapidement le niveau des eaux et de fournir un passage aux pêcheurs vers la mer.
Cependant, au fil des mois, la brèche s’est élargie de manière incontrôlée. En 2006, sa largeur atteignait près de 1500 mètres, et sa profondeur avait augmenté à 6 mètres. Aujourd’hui, elle mesure environ 15 km de large. Bien que les risques d’inondations aient été atténués, un nouveau problème est apparu : le changement du comportement hydrologique du fleuve, entraînant une montée répétitive des eaux en fin d’hivernage chaque année. Ce phénomène a provoqué un nombre croissant d’accidents, dont plus de 650 pêcheurs ont été victimes depuis l’ouverture de la brèche.
Les pêcheurs pointent du doigt l’absence de mesures de sécurité et d’entretien de la brèche. Moustapha Dieng, secrétaire général du syndicat national autonome des pêcheurs du Sénégal, déplore que la brèche ait été ouverte sans études approfondies et que son entretien soit négligé. L’élargissement progressif de la brèche et la perte de profondeur ont causé des mouvements de sable imprévisibles, créant des bancs de sable dangereux pour les pêcheurs qui reviennent de la mer. Les accidents surviennent souvent lorsque le niveau de la mer dépasse celui du fleuve, provoquant des embâcles fatals.
Le problème d’entretien est également souligné par Mamadou Sarr, président de la commission environnement et préservation des ressources de l’association des pêcheurs à la ligne, qui rappelle que l’État doit assumer la responsabilité de la gestion de cette infrastructure. Des fonds doivent être alloués pour le balisage de la brèche et la maintenance de cet ouvrage, qui reste un point de passage instable.Les pêcheurs demandent des solutions durables, en particulier la construction de ports à Saint-Louis et une concertation avec les pays de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Moustapha Dieng plaide également pour que le Sénégal prenne exemple sur la Mauritanie, qui a réussi à développer plusieurs ports le long de l’océan Atlantique. Il déplore que malgré les milliards investis sous l’ère de Macky Sall, aucune solution concrète n’ait été mise en place.