Point de situation : l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS).
Les 3 et 4 juillet 2024, les États-membres de l’OCS se sont réunis à Astana, Kazakhstan, pour le 24e sommet. Fondée en 2001 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, et l’Ouzbékistan, elle a succédé au « Groupe de Shangaï ».
En 2017, l’Inde et le Pakistan l’ont rejointe, suivis de l’Iran en 2023, et de la Biélorussie (ancien observateur) en 2024. Elle comporte également deux États observateurs (Mongolie et Afghanistan), ainsi que quatorze partenaires de discussion (dont une majorité est moyen-orientale).
Initialement, cette organisation avait pour vocation d’assurer la sécurité des frontières et de protéger les pays d’Asie centrale de toute infiltration terroriste, extrémiste et séparatiste. Les ambitions se sont élargies à d’autres thématiques au cours du temps.
Un sommet important pour le Kazakhstan
Les pays d’Asie centrale sont enclavés. Ils dépendent donc de la qualité de leurs relations diplomatiques de voisinage. Pour s’échapper de cette dépendance, ils déploient une diplomatie multi-vectorielle pour renforcer leur posture et trouver des partenaires alternatifs. Dans ce cadre, organiser un sommet de l’OCS est un instrument de puissance. Dans le tableau suivant, nous pouvons observer que la répartition des sommets de l’OCS est relativement juste (l’Inde étant membre depuis seulement 5 ans) :
Chine |
Russie | Kirgizistan | Tadjikistan | Ouzbékistan | Kazakhstan | Inde |
5 | 6 | 3 | 4 | 4 | 6 |
1 |
Ainsi, nous constatons que le Kazakhstan se place en position de force en comparaison des autres pays d’Asie centrale. Il a organisé en 2024 son 6e sommet, alors que les autres pays d’Asie centrale n’en ont organisé que trois ou quatre. Cette domination diplomatique s’additionne aux avantages géographiques que le pays a sur ses voisins, dont sa taille et ses ressources naturelles (notamment en eau, avec les mers Caspienne et d’Aral, et le lac Balkhach).
L’OCS est-elle un « bloc d’opposition » crédible ?
D’abord, elle possède de sérieux avantages. Elle représentait environ 50% de la population mondiale, plus de 60% du continent eurasiatique, et 20% du PIB mondial en 2018. L’OCS est également une force militaire, bien que de nombreux critères entrent en compte. En 2024, elle possède 5,66 millions de soldats actifs et 5,25 millions de militaires de réserve, là où l’OTAN en possède moins : 3,39 millions d’actifs pour 3,44 millions de réservistes. La coopération de défense et de sécurité dans l’OCS est également un fait, puisque la Russie et la Chine ont, ou développent, des bases militaires dans les pays d’Asie centrale. En outre, un bureau de renseignement de l’OCS est situé à Tachkent, Ouzbékistan.
Toutefois, il existe de sérieuses dissensions entre les membres de l’OCS. D’abord, l’Inde est en opposition forte avec le Pakistan et la Chine, notamment en raison d’enjeux frontaliers. La Chine, la Russie et l’Inde cherchent également à développer leur leadership régional, chacune au détriment des autres. En outre, la Chine et la Russie se disputent l’hégémonie sur l’ancienne région du « grand jeu », autrefois composée des Turkestan russe et chinois. En ce sens, la Chine a organisé le Sommet Chine-Asie centrale en 2023, et n’a pas invité la Russie.
Enfin, la dilution de l’OCS par l’arrivée de nouveaux membres et l’ouverture à des sujets autres que sécuritaires l’inscrit dans un contexte de compétition avec d’autres instances régionales et internationales comme l’ASEAN, l’APEC et surtout les BRICS+. Cela sape donc l’essence et l’efficience de l’OCS.
La crédibilité de l’OCS comme un « bloc d’opposition » à l’ordre occidental est donc douteuse.
Un sommet à enjeux ?
Les dirigeants chinois et russe ont placé ce sommet comme une nouvelle étape dans la remise en cause de l’ordre international hérité de la seconde Guerre Mondiale, en annonçant souhaiter que l’OCS œuvre pour un « ordre mondial multipolaire juste » dans un front commun face à l’Occident. La Chine et la Russie ont également dénoncé « l’hégémonie » des États-Unis dans les relations internationales. Toutefois, il existe une certaine division entre la Chine et la Russie, et les pays d’Asie centrale, puisque la diplomatie multi-vectorielle de ces derniers les conduit à rechercher une « troisième voie » dans leurs relations avec l’Occident.
Il semblerait que la Chine et la Russie œuvrent pour se partager la domination de l’Eurasie. Cela fait écho à la théorie du Heartland de Mackinder, qui indique que la puissance proviendrait du contrôle de l’Eurasie. Les États-Unis cherchent à contrer les applications de cette théorie, notamment en suivant celle du Rimland de Spykman, qui est la réciproque de la précédente. Enfin, la Biélorussie a changé de statut en devenant membre de l’OCS, ce qui est une poussée de l’organisation vers l’Europe, et soutient donc la thèse précédente.
Propositions pour contrer la « dispersion » du multilatéralisme et la remise en cause de l’ordre international
Deux facteurs principaux expliquent la dispersion du multilatéralisme : la volonté croissante des “pays du Sud” de se faire entendre, et le non-respect et peut-être l’abus par les pays occidentaux d’un ordre qu’ils ont eux-mêmes instauré.
Cette multiplication des instances peut être perçue comme positive par les États et les populations qui en sont à l’origine. Néanmoins, il faut remarquer que cela crée un « bol de nouilles » (R. Baldwin) qui entrave une coopération internationale efficiente.
À ces deux causes peut concourir une solution : légitimer l’ordre international actuel. Comment faire ? Il faut achever la promotion d’un « ordre international fondé sur des règles », notion inventée en 2004 par J. Ikenberry et reprise par les grandes puissances occidentales. Il est nécessaire de soutenir à la place un ordre international régit par le droit international, et que ce droit soit respecté et appliqué pour tous d’une manière juste.
Par-exemple, Karim Khan a œuvré en ce sens en demandant des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre des dirigeants du Hamas. Effectivement, cette action aide à atténuer le sentiment d’une justice internationale à deux vitesses. Il semble donc indispensable que le droit international soit respecté pour légitimer l’ordre international actuel.
Jérôme Venturini, Analyste Géopolitique Junior
InterGlobe Conseils, cabinet-conseil en expertise géopolitique et communication stratégique https://www.interglobeconseils.org, [email protected]