Le Sénégal à la croisée des chemins : sortir du piège budgétaire et bâtir une souveraineté économique du


Par Amar THIOUNE

Dakar – Après une décennie marquée par une croissance sous perfusion et des choix budgétaires discutables, le Sénégal se retrouve à la croisée des chemins. Soutenue sans réserve apparente par le Fonds Monétaire International (FMI), la politique économique du pays a pourtant engendré une dette publique vertigineuse, avoisinant les 110 % du PIB, un déficit chronique, et une dépendance inquiétante à l’endettement extérieur.

Avec l’arrivée d’un nouveau leadership démocratiquement légitimé, porté par une volonté populaire de rupture, l’heure est venue d’interroger la trajectoire économique du pays – et surtout, de la réorienter avec audace et lucidité.

Une décennie de complaisance et de fragilité

Durant les dix dernières années, la gestion budgétaire du Sénégal s’est appuyée sur des emprunts massifs destinés à financer des projets dits structurants, souvent sans rentabilité immédiate. Malgré des signaux d’alerte clairs – creusement de la dette, faible productivité locale, exposition aux chocs externes – le FMI a maintenu son appui, validant des politiques de fuite en avant. La logique de croissance a primé sur la soutenabilité, laissant l’économie nationale vulnérable et dépendante.

Il ne s’agit pas ici de faire du FMI un bouc émissaire, mais de poser la question de sa responsabilité et de son rôle dans l’aggravation des déséquilibres macroéconomiques. Car le FMI n’est pas un arbitre neutre : il défend une vision façonnée par les intérêts des marchés internationaux.

Reprendre la main : vers une souveraineté économique assumée

La rupture politique actuelle doit se traduire par une rupture économique. Le Sénégal a aujourd’hui l’opportunité historique de définir une nouvelle trajectoire, fondée sur la souveraineté, l’équité et la transparence. Cela implique :

• Une réorientation du budget vers l’investissement social (éducation, santé, agriculture) ;

• Un audit indépendant de la dette publique, pour distinguer dettes légitimes et illégitimes ;

• La restauration des équilibres budgétaires à travers une gouvernance rigoureuse et une lutte frontale contre la corruption.

Mobiliser les ressources internes : la clé de la résilience

Pour sortir du piège de la dette extérieure, il est indispensable de diversifier les sources de financement, notamment à travers la mobilisation de l’épargne nationale et de la diaspora. Cela va bien au-delà des obligations patriotiques : il s’agit de construire un système financier inclusif, ancré dans le quotidien des citoyens.

Parmi les leviers possibles :

• Comptes d’épargne développement pour les ménages modestes, garantis et rémunérés ;

• Bancarisation de l’épargne informelle via les mutuelles, les fintechs et les services postaux ;

• Création de produits d’investissement participatifs (fonds locaux, coopératives digitalisées, tontines encadrées).

Des pays comme le Maroc, le Rwanda, l’Inde ou l’Indonésie ont su s’appuyer sur ces mécanismes pour renforcer leur autonomie économique. Le Sénégal peut et doit s’en inspirer.

Anticiper l’ère des hydrocarbures : rester sobre, rester vigilant

Avec l’arrivée prochaine des premières recettes issues du pétrole et du gaz, le Sénégal entre dans une nouvelle phase. Mais attention : ces ressources ne doivent pas devenir un mirage ni une dépendance de plus. Il est impératif d’adopter une gestion rigoureuse et transparente, à travers :

• Un cadre légal fort pour les revenus extractifs ;

• La création d’un fonds souverain dédié à l’investissement à long terme ;

• L’affectation prioritaire de ces revenus à l’éducation, aux infrastructures et à l’innovation.

Le FMI face à ses responsabilités

Le Sénégal doit ouvrir un débat sérieux sur le rôle des institutions financières internationales. Il est temps d’exiger de la redevabilité. Un audit indépendant des dix dernières années de coopération avec le FMI s’impose, pour faire toute la lumière sur les orientations validées et leurs conséquences. Sur le plan diplomatique et juridique, le pays pourrait s’appuyer sur une coalition africaine et engager des actions en cas de négligence manifeste.

Une stratégie offensive, un cap clair

La souveraineté économique se construit sur le terrain : relance de l’agriculture, développement de l’agro-industrie, industrialisation locale, infrastructures numériques et énergétiques, éducation technique, entrepreneuriat des jeunes. C’est ce socle qui garantira une croissance durable et une réelle autonomie.

Conclusion : décider, bâtir, maîtriser

Le Sénégal n’a pas à se plaindre ni à mendier. Il a à décider. Le FMI n’est pas l’ennemi, mais il ne peut plus être le pilote. Il est temps de reprendre le pouvoir sur notre trajectoire économique, de construire un modèle endogène, fondé sur nos ressources, notre jeunesse et notre vision. Le moment est venu de faire de la rupture démocratique une souveraineté économique réelle, en refusant les distractions politiciennes et en s’attaquant aux vrais enjeux.

Le Sénégal peut choisir. Le Sénégal doit choisir. Et ce choix doit être celui du courage, de la responsabilité et de l’ambition.

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