Le Tchad à la croisée des chemins !


Les Tchadiens se sont rendus aux urnes le 06 mai 2024 pour élire un nouveau président trois ans après la mort au front de Idriss Deby Itno. Cette élection vient mettre un terme à une transition de trois ans dirigée par le fils du défunt président Mahamat Idriss Deby Itno, propulsé à la tête de l’État par les généraux. Aujourd’hui candidat, le président de la transition affronte neuf autres, parmi lesquels son Premier ministre Succès Masra.

Si pour Aristote, la politique est la « science maîtresse », au Tchad, elle prend un tout autre sens. En effet, l’élection présidentielle qui vient de se dérouler laisse présager une rupture. Rupture, car le parti du défunt Président longtemps au pouvoir, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), est absent du scrutin. Il demeure cependant sociologiquement présent et a réussi à réunir autour de Mahamat Idriss Deby Itno (MIDI), une coalition de 230 partis politiques baptisée Coalition pour un Tchad Uni. La deuxième rupture, c’est la participation du parti les Transformateurs du Premier ministre Succès Masra.

De prime abord, il était prévisible que le candidat de la Coalition pour un Tchad Uni allait l’emporter sans surprise. Il ne faut pas se leurrer. Il a vite appris la leçon du feu président Omar Bongo Ondimba : « On n’organise pas une élection pour la perdre ! ». La messe est dite !

Dans nos sociétés, le vote est ethnique, tribal et religieux et les électeurs votent généralement pour le candidat qui leur ressemble. Les deux candidats qui sont en tête de peloton cristallisent les passions. Succès demeure populaire dans la zone méridionale précisément le Moyen Chari, abandonnée par l’Union pour le Renouveau et la Démocratie (URD). Bien que faisant partie de la Coalition pour un Tchad Uni, sa consigne de vote n’a pas été suivie par les populations. Le Logone oriental, également sans leader local, en plus du ralliement de NgarlejyYorongar, il serait impensable que l’ancien élève de Collège Charles Lwanga perde dans cette partie du pays. Sans oublier le Logone occidental, terre rebelle. Les inquiétudes surgiraient dans la Tandjilé et les deux Mayo Kebbi où le candidat du coq a marqué des points.

Quant à MIDI, il a raflé tout le nord. Les stratèges, membres de sa Direction nationale de campagne n’ont pas fait de grands efforts. Ils ont simplement répliqué la stratégie de 2001. Idriss Deby Itno était le seul candidat du nord face aux autres candidats du Sud. Ce subterfuge a fait mouche. L’innovation, c’est juste de brouiller les pistes en laissant Yacine Abderamane Sakkine concourir. On n’a plus besoin de débat. Il suffit de planter le décor et de montrer à l’électeur à qui on a présenté mille et scénarii, ce qu’il deviendrait si un candidat du Sud venait au pouvoir. C’est dans cette optique qu’on a fait disqualifier les candidatures sérieuses comme celles de Hassaballah Soubiane et Abderahim Acyl.

On est en démocratie ! Force à la loi. Elle se définit comme le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Elle est simultanément un concept simple et en même temps très controversé. Elle est la principale forme de gouvernement dans le monde, bien que la qualité démocratique d’un gouvernement donné soit souvent sujet à débat. Un petit tour d’histoire avec deux concepts politiques permet de bien illustrer les deux adversaires : MIDI ET MS7.

Soutien de l’administration

Pour Mahamat Idriss Déby Itno, le patrimonialisme sied à merveille. C’est une forme de gestion du pouvoir qui se distingue peu ou pas du tout des intérêts privés, voire familiaux du détenteur du pouvoir et de l’intérêt général. Lorsque les dirigeants contrôlent l’ensemble des ressources de l’État, ils s’en servent à leur guise. Ce régime est une variante extrême du clientélisme.

Par exemple, toute l’administration et ses agents dépendent entièrement de leur relation personnelle avec le détenteur du pouvoir, qui se sert de la force nécessaire pour renforcer cette gestion complaisante de l’Etat. On voit toute l’administration se jeter dans la campagne. Non pas que les cadres croient en lui, mais de peur de perdre leurs avantages, ils n’ont pas le choix que de mettre leurs beaux costumes pour prendre place au carnaval. Les cortèges de grosses cylindrées forment des caravanes qui suivent partout le candidat numéro 1, selon l’ordre établi par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE).

Dans la capitale, au niveau des grandes artères, des affiches géantes avec des slogans ont orné les ronds-points. Comble de tout, sans électricité, ces efforts s’amenuisent la nuit où les lampadaires disent merde ! Ce folklore n’est que simple instinct de conservation des biens mal acquis. Dans le cadre de l’élection, on peut convenir avec Anastasio S Garca : « Effectivement, vous avez gagné les élections, mais j’ai gagné le comptage »

Quant à Succès Masra, c’est l’aristocratie, la domination d’une élite, justifiée par l’idée que tous les gens n’ont les mêmes capacités pour diriger et que la plupart n’en sont pas qualifiés.   Or, la rhétorique et la réalité ne s’accordent pas toujours. L’attitude des Transformateurs comporte bien des éléments qui mettent l’accent sur les qualités de leur candidat. Docteur d’université de son état, le graal dans le système éducatif moderne, il doit avoir une intelligence académique supérieure à la normale surtout à celle de Mahamat Idriss Déby Itno. Il a glané de prestigieux prix et s’exprime avec aisance. Féru de cinéma américain, il fait l’éloge de l’université Harvard, où il n’aurait étudié que 45 jours selon son principal adversaire, il doit être à l’image du roi soleil. Last but not least, il a travaillé à l’international dans la prestigieuse Banque Africaine de Développement (BAD), là où c’est la méritocratie qui prime et non le clientélisme. Tout à l’opposé de son adversaire. Pur produit du système local avec un parcours où le seul mérite est son patronyme.

Malgré tout, ils ont su accorder leurs violons à Kinshasa en République démocratique du Congo, là où le célèbre chanteur Tchadien Gazonga a fait ses classes dans la musique. Jaloux saboteurs aux yeux de crocodile.

Mariage de circonstance et premières erreurs

Pour la bonne marche du pays, les deux « tourtereaux » ont parachevé un accord sous l’égide du Président Félix Tishekedi. Ce qui a permis le retour au pays de Succès Masra. Lorsque la cinquième République avait été proclamée, le PM du Gouvernement National de Transition Saleh Kebzabo a rendu son tablier. C’est ainsi que le 1er janvier 2024, le Président de Transition nomma Succès Masra, Premier Ministre de Transition.

L’ancien opposant farouche a donc revêtu le lourd manteau de Chef du Gouvernement. Il va très vite vouloir imprimer sa marque : Range Rover, Nouveau Bureau, gestion de la page Facebook de la Primature, nettoyage de toute l’administration, à l’exception du Secrétaire Général. Nomination de la jeune garde dite de Harvard. Règlement de la crise des enseignants avec en prime des sacs de riz. Tout est fait pour être blingbling. La pilule est passée et ses admirateurs relaient sans gêne ses exploits.

Mais comme Dominique de Villepin avec le Contrat Premier Emploi (CPE), l’élu de cœur du 7e  Arrondissement va commettre deux fautes majeures. L’augmentation du prix des produits pétroliers à la pompe le 13 février 2024.  Ce qui se traduisit par une augmentation de 40% du prix de l’essence, atteignant désormais 730 francs CFA le litre, et de 18% pour le gasoil, porté à 828 francs CFA le litre. Les arguments servis n’ont ni tête ni queue et la décision fut signée du ministre de commerce et des Finances. Cependant, le service après-vente sera confié au PMT qui monta au créneau et prit tout à la figure. La mesure était tout aussi irréfléchie qu’impopulaire. Mais le verbo moteur patina.

S’en suivit, la mort tragique de l’opposant Yayo Dillo. Alors à l’étranger, dans le cadre d’une mission officielle, il rata le coche. Même le Président de la Transition qui donna l’ordre qui a permis l’assaut n’a pas fait de déclaration. Sans prendre la température de l’événement, l’homme récidiva. Il s’exprime et se mêle les pinceaux. Il cautionne, pire, accorde tout son soutien au chef de l’État et aux forces de défense et de sécurité pour le travail bien fait ! Il reprit la même litanie que Saleh Kebzabo, alors Premier Ministre lors de la répression sanglante, de la marche du 20 octobre ; un véritable massacre au cours duquel au moins 300 jeunes vies ont été arrachées sans état d’âme. Pour citer le rappeur américain 2Pac, « les guerres se succèdent mais l’âme du soldat demeure éternelle ». Ici, les massacres se succèdent mais la parole des politiques demeure la même.

Jamais, le Tchad n’a connu d’aussi piètres Premiers Ministres. Il est légitime de s’approprier le titre du film de Philippe de Chauveron : « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? » L’acteur américain Bruce Willis dans une réplique du film sur la guerre du Biafra a la réponse : « Dieu a quitté le Tchad ! »

Toutes les institutions mises en place, à une vitesse exponentielle, ont été faites pendant qu’il était chef de gouvernement : ANGE, Conseil Constitutionnel. Nous ne sommes pas dans une cohabitation comme celle de François Mitterrand et Jacques Chirac ou celle de Jacques Chirac et Lionel Jospin. Le bon sens aurait voulu que Assiongar Succès Masra démissionnât de son poste et concourût librement. L’argument selon lequel le Président de Transition devrait aussi démissionner est démagogique. Il détient sa légitimité du Dialogue National Inclusif et Souverain. Or, le PMT est nommé simplement par le PT. La décence aurait prévalu mais, la réalité est tchadienne donc toujours à l’ouest.

Le Tchad est à la croisée des chemins. Toutefois, une issue favorable aurait été possible : une participation massive au vote avec à la clé, des résultats transparents. Un beau rêve, mais on aurait un tant soit peu fait avancer notre démocratie encore en construction !

Par Issa Hamid

N’Djaména



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