Les voies d’une refondation institutionnelle et démocratique au Togo


Les Togolais se sont rendus aux urnes pour des élections législatives et régionales à grands enjeux. Ce double scrutin s’est tenu dans un contexte tendu depuis l’adoption contestée, le 19 avril 2024, d’une nouvelle Constitution qui a fait basculer le pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire.  

Contrairement au dernier scrutin, l’opposition togolaise a décidé de ne pas boycotter ces élections législatives et régionales. Dans une tribune, Eric Topona, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, spécialisé dans les questions politiques et géopolitiques en Afrique et dans le monde propose quelques éléments pour favoriser la refondation du Togo.

Depuis le décès, le 5 février 2005, du chef de l’État togolais, Gnassingbé Eyadema, à bord de l’avion présidentiel qui l’évacue pour des soins vers la France et la course chaotique à sa succession qui s’ensuivit, le Togo n’a plus jamais occupé le devant de l’actualité des réformes constitutionnelles en Afrique subsaharienne francophone. Le tour de force juridique qui conduisit le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Ouattara Natchaba, pourtant successeur constitutionnel du président soudainement décédé, de renoncer à ses prérogatives successorales pour faire place nette à son fils, alors ministre et actuel chef de l’État depuis dix-neuf ans, est sans précédent dans l’histoire des démocraties naissantes d’Afrique. Certes, l’opposant historique Gilchrist Olympio aura donné de la voix avant de se rallier au pouvoir en place, pour finalement se retirer de la vie politique, de guerre lasse.

Depuis cette accalmie avec son adversaire politique le plus résolu, Faure Essozimna Gnassingbé s’est imposé comme le maître du jeu sur la scène politique de son pays. Tant et si bien que le Togo s’est illustré par une diplomatie de présence qui lui a permis de jouer les bons offices entre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les nouveaux pouvoirs militaires en Afrique de l’Ouest.

De manière inattendue et à contre-courant des principes que promeut la diplomatie togolaise à l’endroit des régimes militaires d’Afrique de l’Ouest arrivés aux affaires suite à des « coups d’État constitutionnels », voici le Togo redevenu à son tour un motif d’inquiétude pour les démocrates africains.

En effet, sur une proposition de changement constitutionnel de l’exécutif, le parlement togolais a adopté, le 25 mars 2024, en première lecture, un projet de loi qui consacre la mutation politique du Togo d’un régime présidentiel vers un régime parlementaire. Le texte a été définitivement adopté par les députés le 19 avril. Parmi ses innovations phares, le pouvoir exécutif sera désormais assumé par un président du conseil des ministres, élu par le parlement. Le président de la République inaugurera donc les chrysanthèmes, pour une fonction qui deviendra honorifique. Si d’autres innovations apparaissent dans ce texte, à l’instar de la fonction de médiateur de la République, dont l’appellation sera délaissée pour celle de « protecteur des citoyens », force est de constater que c’est le mode de désignation du chef de l’exécutif et le transfert de ses pouvoirs régaliens dans une fonction nouvelle qui constituent la clé de voûte de cette nouvelle constitution.

S’il faut s’en tenir à ce qui peut être considéré comme un aggiornamento institutionnel, cette réforme est inédite en Afrique subsaharienne francophone. L’architecture institutionnelle de tous ces États a été bâtie sur le modèle de la Ve République française.

Au demeurant, cette réforme ne manque pas de susciter questionnements et perplexité. La manière, le moment et le contexte interrogent.

Pour une réforme d’une telle importance, le pouvoir en place n’aurait-il pas été avisé de consulter le peuple par référendum à l’issue d’un débat démocratique, afin d’asseoir la nouvelle République sur un socle de légitimité solide et crédible ? Comment procéder à une réforme institutionnelle aussi cruciale pour l’avenir de la démocratie togolaise par la seule voie de parlementaires dont les mandats sont arrivés à expiration et à quelques mois d’une élection présidentielle qui aurait dû se tenir au suffrage universel direct ? C’est effectivement cette modification des règles du jeu, à la veille d’échéances électorales cruciales, qui désarçonne plus d’un observateur.

Le moment de cette réforme est d’autant plus contestable que l’actuel chef de l’État, dans la constitution encore en vigueur, arrive à la fin d’un mandat et ne pourra plus se représenter. Les arguties juridiques mises en avant par le camp présidentiel donnent du grain à moudre aux voies contestatrices qui estiment que l’autre objectif majeur de cette réforme était de faire sauter le verrou de la limitation des mandats et de permettre à Faure Essozimna Gnassingbé de demeurer au pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaitera.

En Afrique de l’Ouest, le Togo est quasiment le seul État qui n’a connu aucune alternance démocratique véritable, encore moins une dévolution pacifique du pouvoir. C’est pourquoi les Togolais doivent s’asseoir autour d’une table et poser les jalons d’une indispensable refondation, comme nous l’avons esquissée dans notre ouvrage, Essai pour la refondation du Tchad (Harmattan 2021).

Il est vrai que, par le passé, à l’occasion des crises politiques antérieures, des dialogues politiques inter-togolais ont été organisés, mais ils avaient tous pour objectif majeur de résoudre des différends politiques internes par des accords de partage de pouvoir.

Or, les réalités de la sociologie politique togolaise actuelle ne sont plus celles des années 1990 ou du début des années 2000. La quasi-totalité des pays africains sont le théâtre d’un profond renouvellement générationnel et d’une très forte demande de modernisation de la vie politique. Ces populations sont conscientes de leur potentiel d’innovation et souhaitent en donner la pleine mesure dans des cadres institutionnels appropriés.

Ce besoin d’affirmation et de responsabilisation des peuples africains monte comme une source arlésienne qui doit être canalisée de manière républicaine, dans l’intérêt des peuples d’Afrique et pour le renforcement de leur souveraineté. Car ce sont justement ces divisions internes qui hypothèquent la souveraineté de nos États dont les défis à relever, dans un environnement mondial extrêmement concurrentiel, sont tout aussi urgents que gigantesques.

Nous estimons qu’il est encore temps pour les Togolais d’écrire, dans un large consensus, les pages d’un nouveau contrat social et d’une nouvelle République.



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